samedi 16 avril 2011

Longtemps il s’est couché de bonne heure….


Incipit…. le mot n’est pas beau, c’est pourtant un sésame merveilleux la première phrase,  l’ouverture d’une porte, et l’effet de surprise est immédiat, à la différence du Il était une fois où l’histoire ne commence qu’après la formule magique.

Quelques premières phrases….

Il était une fois, se raconte Mary Ann, une belle princesse qui s'appelait Miranda et qui avait une boîte à souhaits, noire, avec des paillettes d'or et une longue fente sur le dessus, comme une tirelire, pour laisser passer les souhaits, un chaque jour. Alison Lurie tient la baguette des fées dans Comme des enfants.

Celle de Zazie (dans le métro) de Raymond Queneau précurseur du SMS :
Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé.

Lévi-Strauss attaque bille en tête dans Tristes Tropiques: 
Je hais les voyages et les explorateurs
 
Le début du livre Le démon de H.Selby Jr, guère cité dans les manuels scolaires
Ses amis l’appelaient Harry. Mais Harry n’enculait pas n’importe qui. Uniquement des femmes…des femmes mariées.

L'étranger et laconique Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas de Camus

Une longue phrase ouvre le livre de John Fowles, Sarah et le lieutenant Français :
Le vent d’est est le plus désagréable des vents qui viennent souffler sur Lyme Bay – Lyme Bay, la plus large des échancrures de la partie inférieure du grand bras de terre que la côte anglaise allonge dans la direction sud-ouest – et de ce fait un curieux n’aurait pas manqué de faire quelques suppositions solidement fondées à propos d’un couple qui venait de s’avancer sur la jetée près de Lyme Regis – petite ville ancienne qui avait donné son nom à l’échancrure – certain matin de la fin mars 1867, où ce vent soufflait en courtes rafales, mordantes et sèches.
mais ne doit pas pour autant dissuader de le lire 

Et c'est le vent du nord, le norouâ, qui souffle fort sur la maison de Maria Chapdelaine:
"Ite missa est." 
La porte de l'église de Péribonka s'ouvrit et les hommes commencèrent à sortir. (Louis Hémon) 
 
C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur le champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles. ( Orgueil et préjugés Jane Austen)

On continue dans la littérature anglo-saxonne avec Russel Banks (American Darling) qui nous fait découvrir un pays, le Libéria.

Après bien des années où j’ai cru que je ne rêvais plus jamais de rien, j’ai rêvé de l’Afrique. 

F. Scot Fitzgerald dans Les heureux et les damnés :
En 1913, lorsque Anthony Patch eut vingt-cinq ans, deux années s’étaient déjà écoulées depuis que l’ironie, le Saint-Esprit de notre époque, était, du moins théoriquement, descendue sur lui.

Pour les amoureux de New-York et de Colum McCann
Le soir qui précéda la première chute de neige, il vit un grand oiseau gelé dans les eaux de l’Hudson. (Les saisons de la nuit)

Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau…alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer.
Bon, là j’ai triché un peu, mais ça vaut le coup…, il s’agit de la quatrième phrase de Moby Dick (Melville)

Un roman américain d'un auteur russe d'abord paru en France:
Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta: le bout de ta langue fait trois petits pas le long du palais pour taper à trois reprises, contre les dents. Lo-Lii-Ta. Stanley Kubrick a adapté le livre de Nabokov en 1962.

Les liaisons dangereuses (Choderlos de Laclos) ne commencent pas par une lettre de La Merteuil mais par une de la (encore !) très sage Cécile Volanges :
Tu vois, ma bonne amie, que je tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m’en restera toujours pour toi.

Un romancier qui tient ses promesses, surtout celle de l'aube:
C'est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l'endroit même où je suis tombé (Romain Gary).

Le bonjour du premier roman d'une certaine Françoise
Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.

Avec le début du Procès on est déjà dans l'atmosphère de Kafka
On avait sûrement calomnié Joseph K…, car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin.

Le roi Charles, notre empereur, le grand, 
Sept ans tous pleins est resté en Espagne.
C'est le premier vers de la Chanson de Roland, mais j’aime beaucoup ceux-ci, à vérifier si c’est dans La légende des siècles… en tout cas abondamment cités dans le film  La lectrice d'après le livre de Raymond Jean...
Tranquilles cependant Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux

Dante entonne son chant premier de lEnfer : [1]
Nel mezzo del cammin di nostra vita
Mi ritrovai per una selva oscura,
Ché la diritta via era smarrita.

Une enquête reste à faire pour trouver de quel livre de Boris Vian il s’agit ? (j’ai essayé, sans succès), c'est peut-être un canular, le texte est un peu approximatif…et tant mieux si le mystère demeure :
Tudieu dit la baronne en javanais et en branlant le chef, non qu’elle se fût permis quelque familiarité avec le personnel mais bien parce qu’elle parlait les deux langues

Du plus loin que je me souvienne, j'ai entendu la mer, nous susurre, comme le vent dans les aiguilles des filaos, le chercheur d'or de J.M.G. Le Clézio
 
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189...
le Grand Meaulnes, quand j'ai racheté le livre j'ai pris la même édition de poche car la couverture fait déjà rêver.

Mme de Lafayette et une autre princesse, Mme de Montpensier:
Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l'amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d'en causer beaucoup dans son empire.

Jacques le fataliste nous entraîne avec Diderot dans le plaisir du dialogue et de la digression:[2]
Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut

Toutes les familles heureuses se ressemblent mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon, cette phrase qui ouvre Anna Karénine (Tolstoï) est un sésame dans l'élégance du hérisson de Muriel Barbery.

Je termine ces mises en bouche avec Queneau (les fleurs bleues)
Le vingt-cinq septembre douze cent soixante-quatre, au petit jour, le duc d’Auge se pointa sur le sommet du donjon de son château pour y considérer, un tantinet soit peu, la situation historique.
Et la dernière phrase ? L’excipit comme on dit… c’est aussi vilain que l’entrée et je préfère refermer doucement la porte avec Marcel Aymé et les contes du chat perché, clin d’œil d’une émotion partagée avec le canard et la panthère.

Et la panthère ferma ses yeux d’or


[1] Au milieu du chemin de notre vie je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue.
[2] Voir le petit livre de Kundera « Jacques et son maître hommage à Denis Diderot en trois actes ».

mardi 12 avril 2011

Ré-création

Je n’ai pas encore publié dans ce blog, des jeux de langage. En voici quelques uns….

Un proverbe détourné dans l’Aubrac après observation sur le terrain :
La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin  
La pluie du soir le pousse à boire

Et quelques néologismes :
calinoir : recoin cachette pour les câlins du soir
schizo-frêne : arbre des forêts de l’inconscient dont les branches deviennent phosphorescentes à la tombée de la nuit
biofatigue : sentiment de lassitude causé par l’envahissement de la religion bio, idem pour fatiguécolo
lézardo : ado qui aime paresser au soleil et qui a parfois des difficultés à se lever le matin 
zone étérogène : zone particulièrement sensible en période chaude
shishiteux : fumeur de shit radin
bébéatitude : attitude béate devant un bébé

Mais dans le domaine des détournements, des jeux où il y a souvent gros à gagner et peu à perdre je préfère ce que font les autres…

J’ai particulièrement aimé 
Quand Françoise Hardy parlait devant Mireille Dumas de son livre et de son amour pour les arbres, dont elle étreignait le tronc… Pierre Palmade lui fait remarquer que c’était intéressant en ayant vécu trente ans avec un mec qui s’appelait Dutronc !  

Quand j’ai lu que Flaubert s'était écrié dans ses dernières heures « Je vais mourir et cette pute de Bovary va vivre ! »

Que Corneille ait eu le culot d’écrire dans Polyeucte (acte I, scène 1)
«Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle,
Et le désir s’accroît quand l’effet se recule :
Ces pleurs, que je regarde avec un œil d’époux,
Me laisse dans le cœur aussi chrétien que vous. »
 
Que Victor Hugo ait inventé un calembour/ville pour sa rime dans La légende des siècles (Booz endormi)
« Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait, »

Et dans « La belle Hélène » d’Offenbach :
« Je suis l’époux de la reine, poux de la reine, poux de la reine…. »
« Ce roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance, bu qui s’avance… »
 
La strophe rajoutée de Tristan Bernard
Peut-être que je serai vieille,
Répond Marquise, cependant,
J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille
Et je t’emmerde, en attendant.

au poème de Corneille
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux, 
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le double zeugma de Desproges « Après avoir sauté son petit-déjeuner et sa belle sœur le petit prince reprit enfin ses esprits et une banane. »

Un des souvenirs de Georges Pérec
Je me souviens que le lendemain de la mort de Gide, Mauriac reçut ce télégramme « Enfer n’existe pas. Peux te dissiper. Stop. Gide. »

Et pour terminer, dans la même veine, avec le professeur Froeppel (un peu frappé) de Jean Tardieu et ses petits problèmes et travaux pratiques :

Sachant que vous êtes immortel, comment organiserez-vous vos journées ?

samedi 9 avril 2011

Lettre de la marquise de Chaconne à sa fille

Je vous dis souvent, ma chère fille, que vous me faites peine de vivre recluse dans votre campagne, eh bien figurez vous que samedi soir je vous ai enviée de n’avoir pas à subir l’outrage qui m’a été infligé, ainsi qu’aux spectateurs d’une œuvre intitulée  les Indes dansantes d’après (ce pauvre) Rameau, qui n’avait rien demandé de tel !

Je ne dirai rien sur l’orchestre qui a joué fort honnêtement sa partie, en revanche les obsessions chorégraphiques de Madame P. m’ont glacée jusqu’à l’os, voire jusqu’aux articulations, qui gémissaient devant si peu de grâce. Je plains les danseurs d’accumuler tant d’heures de travail pour en arriver là. Je déplore surtout que sous couvert de modernité, de décalage, de revisite d’une œuvre dite poussiéreuse, de provocation et autres transgressions à la noix, des krréateurs nous imposent un spectacle d’une profonde et abyssale vacuité.

L’amie qui m’accompagnait, kinésithérapeute dans une institution qui reçoit des personnes atteintes d’infirmité motrice cérébrale, disait que les mouvements désarticulés des danseurs lui évoquaient les corps disloqués de certains résidents.

Quand la chorégraphe est montée sur scène (ouf ! c’était fini !), moche, le crâne rasé, j’ai eu un moment la vision d’une rescapée de Dachau. Ma méchanceté ne connaît alors plus de bornes lorsque je lis (dans la brochure donnée au théâtre) qu’en 2006 elle a créé un objet chorégraphique particulier, Animale, qui permet la rencontre d’une danseuse et de 50 souris dans un espace réduit de 9 m². Freud aurait pu écrire une sixième psychanalyse, après  l’homme aux rats , voici la danseuse aux souris  !

Tout cela ma fille ne va pas vous donner envie de retourner dans le monde de la culture et des mondanités. Mais j’assisterai avec grand plaisir à la pièce que joueront vos enfants à la fin de l’année scolaire et cela m’est déjà un doux réconfort de penser à leurs mimiques et à l’application qu’ils mettent à cet ouvrage.


J’attends aussi avec impatience, ma douce, une de vos missives impertinentes et je vous embrasse.



Comme antidote à cette critique un peu acerbe je conseille le film (affiche ci-jointe) qui montre la reprise d’un spectacle de Pina Bausch, Kontakhof, avec des  adolescents d’horizons différents, sous la direction de deux danseuses. 

Dans ce film apparaît très nettement que l’ouverture
au monde et aux autres, suscitée ici par la danse, est une force merveilleuse.