lundi 21 novembre 2011

Belles pères...



Il était une fois un poète cinéaste qui mettait des bras aux chandeliers, faisait suivre les statues du regard, et m’avait flanqué une sacrée trouille quand le père cueille la rose pour sa fille Belle et que la Bête apparaît…


Dans une célèbre adaptation d’un conte de Perrault, Jacques Demy a mis de la couleur et quelles couleurs  sur les robes épreuves demandées par la princesse, qui n’a pas de nom, hormis celui de son père qui veut l’épouser. Au départ il y a quand même le vœu de la reine, qui exige que le roi ne se remarie qu’avec une femme plus belle qu’elle… ; sous-entendu il n’en trouvera pas et bien sur elle ne peut imaginer une seconde que sa fille la supplante par sa beauté (le complexe de Blanche-Neige c’est la belle-mère dans les contes !).




Si j’aime dans le premier les langueurs et les mystères de la mise en scène, les drapés qui s’enroulent comme des fantômes dans les couloirs… j’apprécie dans le second la légèreté et les décalages opérés par Demy. Le lien entre les deux n’est pas seulement la présence de Jean Marais, il s’agit d’amour (Amour, amour, je t’aime tant !!!!!!!!!!!!!) entre une fille et son père dans le premier et un père et sa fille dans le second (légère nuance quoique…), dans la B et la B cette fille si bonne est parfois agaçante d’humilité, d’ailleurs ses sœurs lui font remarquer que si elle n’avait pas demandé seulement une rose hein ?… . Chez Demy la fée des lilas doit insister pas mal pour que l’héroïne se dérobe aux assauts paternels; lors des retrouvailles finales, just married ou sur le point de convoler avec le roi, elle lui dit de faire bonne figure alors que son père lui glisse à l’oreille  ma chère fille nous ne nous quitterons plus comme si le grand mariage de happy end n’était que pure convenance, équivoque tout cela équivoque…








Dans les familles du fol amour je tirerai pour la fin la carte du père Goriot, aucune adaptation cinématographique n’égalerait il me semble la force du livre, diamant brut de douleur, difficile à transposer  : Goriot agonisant, père pélican aux entrailles vidées, espère jusqu’à son dernier souffle la visite de ses filles auxquelles il croit pouvoir donner encore. Là aussi il est question de robes « Oh ! les voir, je vais les voir. Je mourrai heureux…mais les voir, toucher leurs robes, ah ! rien que leurs robes,… ». Comme dirait Jacqouille il a sacrément failli au NON du père !


vendredi 18 novembre 2011

Escales littéraires

Les carnets de route de François Busnel nous ont emmenés à New York un jeudi soir chez Paul Auster, Colum McCann, Toni Morrison, Jonathan Franzen (chic, un auteur à découvrir !), Jay McInnerney, Rick Moody, qui a répondu à la question de Busnel sur l’enseignement de l’écriture…(posée avec une légère connotation négative, enfin, peut-on enseigner l’écriture ?) « oui, vous les Français, c’est l’inspiration qui prime, essayez d’écrire l’entretien que nous avons sans adjectifs…il y a le travail et si l’inspiration vient…tant mieux ! »


Rhode-Island  la maison de Gatsby?
Face à eux, François Busnel posait peu de questions, toujours ouvertes, et hier au soir, deuxième série de ce périple américain, c’était la Nouvelle Angleterre avec des écrivains qui avaient pour point commun de vivre dans des endroits et des maisons magnifiques (je ne sais pas comment je ferai sans adjectifs…), ah le jardin de Peter Matthiessen, il me semble que l’inspiration viendrait toute seule dans un tel lieu.


Pour continuer sur des rivages sereins je suggère le grand entretien sur France Inter entre François Busnel (eh oui encore lui !) et Emmanuel Carrère: un pur moment de bonheur, ils parlent lentement, s’écoutent, celui qui pose des questions ne donne pas les réponses. Emmanuel Carrère ne se fait pas l’apôtre d’une cause toujours, il fait part de ses doutes d’homme et d’écrivain, de son ambivalence pour son héros, Limonov.


Et toujours dans le registre de l’agréable, pourquoi se faire du mal… je vous propose d’ouvrir le livre de Siri Hustevdt (c’est la compagne d’un écrivain mentionné ici, mais je la préfère et de loin nananin…) un été sans les hommes. Je ne vais point vous le narrer, ce serait pécher, mais tenter de vous transmettre le plaisir que j’ai eu à le lire… petit aperçu du contexte, une femme d'une cinquantaine d'années, poétesse, est « pausée » par son mari, qui s’en va pour un temps indéterminé avec une autre de 20 ans de moins qu’elle ! La narratrice appelle sa rivale la Pause, rien que ce petit détail est savoureux.  Elle va côtoyer pendant l’été les femmes âgées de la bande de sa mère et des adolescentes dans un atelier d’écriture, on rit, on jubile parfois, l’ensemble est exquis [1] et plus doux qu’amer[2].



[1] je trouve cet adjectif un peu cul-cul mais je ne sais pas quoi mettre à la place, je ferais bien de m’inscrire à un atelier d’écriture avec Rick Moody…si ça le tente pas de problème…
[2] doukamer ? ça ferait pas un bel adjectif ?

lundi 14 novembre 2011

Etalage


Elles sont toutes là, rangées, pas trop serrées, l’une chevauchant parfois l’autre, mais toujours elles font la paire : foncées, claires et rouges elles étalent leur vie secrète, leur fêlure, comme celle dont le talon gauche s’use toujours au même endroit, et cette autre, dorée, qui a l’air de vous snober car elle sort les grands soirs et rentre au petit matin…

Celle-ci est sage, un peu plate, elle pourrait passer inaperçue, elle sent la jupe de lainage et le pull en cachemire, sa peau caramel est douce et elle a du style derrière sa réserve…

Les baskets sont immaculés, ils ont peu servi ou ils ne connaissent que la salle de gym aseptisée…

En voici une dévastée, ravagée, qui accuse l’usure du temps mais évoque les fastes d’un passé riche, sensuel et provoque encore du haut de son petit 37 affaissé.

Les ballerines vichy ont du relayer les talonnées sur les parquets cirés ou non.

Les bottines en caoutchouc ont sûrement fait des rencontres dans les petits chemins sous un coin de parapluie.


Ah et cette nature lestement débridée, juchée sur de très hauts talons, et toute la volupté d’un entrelacs de petites lanières de cuir noir dont la vue seule suffit à vous donner une folle envie,  petit cordonnier, de faire danser la belle toute la nuit!

mardi 8 novembre 2011

Tendancieuses critiques

Deux films à l’affiche sur le politique sont sortis la même semaine, l’un, français, nous parle de l’exercice de l’Etat, l’autre, américain, des marches du pouvoir. Le petit bonhomme de Télérama est hilare pour le premier, et OK c’est un très bon film avec Olivier Gourmet, grand acteur.
Pour le second le bonhomme fait un peu la moue, c’est pas mal, d’après leurs critères…et ce qui m’intéresse ici c’est le ton employé par les deux critiques.

L’exercice de l’état : phrases courtes, impératives (Regardez le ministre des transports. Il se bat pour un gros dossier…) qui racontent le film comme si on était trop cruchon pour le découvrir tout seul et se terminent en beauté : ce film là manquait. Il nous comble.

Les marches du pouvoir : classique mais efficace ou comment descendre un film sans en dire vraiment du mal. J’ajoute que le film de Clooney est aussi bien que l’autre, affûté et passionnant, mais là il est d’emblée catalogué, actualité brûlante ? non car sans âge (mais le film est d’actualité quand il rejoint les déçus du président en exercice), d’un classicisme discret, ce qui n’est visiblement pas une qualité, et diffuse une impression de déjà-vu, et pire son pedigree, appartenance à la tradition hollywoodienne de l’adaptation théâtrale hyper dialoguée…ça c’est uniquement l’intro, de longues phrases, et tout au long une condescendance peut-être jalouse envers George Clooney ?, les Américains ? les beaux mecs ?…et même un ton chochotte outré quand il espère que l’auteur de la pièce a inventé au moins une partie des turpitudes racontées !

Je n’ai pas encore lu la moindre critique sur Toutes nos envies  qui sort demain, mais j’ai entendu et vu pas mal le réalisateur, les acteurs (ils sont partout)…je doute d’ailleurs qu’il y ait des critiques négatives tellement ce film est encensé, ah ces deux juges, comme ils sont merveilleux, en plus le temps leur est compté….ah mais quand on aime on ne compte pas, et puis l’émotion et le cinéma français c’est un grand amour, on s’en fout si ça dégouline, il va détrôner Intouchables, de toute façon une émotion en chasse une autre, comme une info et toutes nos pensées… Je préfère Vincent Lindon en homme acteur premier ministre dans l’excellent film d'Alain Cavalier (Pater) qu’en maître-nageur sauveur et en juge pourfendeur. Entendre que Marie Gillain s’est battue pour avoir le rôle donne la mesure de l’avidité qui règne aussi dans les coulisses du film dit social, sociétal ou socio-lacrymal.

Ce matin la journaliste de FI disait en parlant de l’impossibilité pour les deux héros d’avoir une relation amoureuse : « y’a pas photo, ils sont pris tous les deux » quelle grâce, quel style, mais enfin Emmanuel qu’est ce qui t’a pris de confier les droits de ton livre, dans lequel l’écriture pouvait mettre à distance l’intime et l’émotion, à un fabricant de guimauves ?[1]



[1] Si je vais voir le film et que je le trouve bon je ferai mon mea culpa

vendredi 4 novembre 2011

Una storia di amor

Après l'Angleterre j’annonçais pronto un détour par l’Italie…la bella, molto bella, la piu bella, bellissima… et puis les superlatifs c’est un peu lassant et je n’étais guère inspirée.
Avec la lande désolée des Brontë, les verts cottages du Kent et les saisons à Londres, c’est le thème qui revient le plus souvent dans les romans anglais du XIXème siècle.



da Giovanni une bonne adresse à Rome
La première chose qui m’a frappée, dans le nord de l’Italie, c’est l’assurance et le naturel des femmes qui entraient le matin dans les cafés, seules, et savouraient, souvent debout, leur cappucino en fumant une cigarette. Je ne voyais pas la même chose à Lyon et on était loin du cliché de la mamma enfermée à la casa ; vous savez que vous êtes en Italie au mètre près, par exemple une marche au col du Lombard, vous posez le pied côté italien, le café est tout de suite délicieux, et vous assistez même à  un pique-nique, pèlerinage joyeux où on ne sert pas du vin de messe …

Un ange des ténèbres sur son pont
Je suis allée trois fois seule en Italie, une semaine à Venise, et si j’ai apprécié de voir à mon rythme les églises, les musées, pouvoir faire des aller/retour sur le Grand Canal, ce n’était pas particulièrement agréable de découvrir que la chambre retenue était un placard et les seules rencontres intéressantes ont été faites lors du voyage en train. A l’aller j’ai rencontré une nana dégourdie (pas comme moi), qui n’avait rien réservé, a trouvé un hôtel super à côté du Rialto ; au retour je me suis retrouvée après la frontière seule avec un bel homme, très élégant (ses chaussettes devaient valoir plus cher que tout ce que je portais…), qui n’avait pas daigné me jeter un regard, il lisait le bouquin d’Hervé Guibert « A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie », mais même sans ce livre, il était clair qu’il était gay. Et puis nous avons parlé toute la nuit, il était passionnant, critique d’art à l’origine, il avait voulu se lancer et mettait en place des expositions.
au frais contre un pilier de Saint Pierre
Une semaine à Florence, une chaleur d’enfer, des hordes de touristes en juin, des fresques invisibles à cause des perturbations horaires (la chiesa è sempre chiusa  argh…damned…), une queue de trois km aux Offices ;  idem, aucune rencontre, sauf dans le train, où j’ai fait la connaissance de l’actrice qui jouait dans le film de Chris Marker Level five  qu’elle allait présenter dans un festival…

La semaine en Sicile a été plus sympa, Palerme seule, c’est un délice, j’ai fait plusieurs excursions, et, à la différence des Italiens du nord, les Siciliens vous parlent ; bon ils croient que vous comprenez, ça c’est autre chose, mais vous n’avez pas l’impression d’être cette chose transparente qui n’est là que pour commander ou acheter quelque chose…

On l’aura compris l’Italie ne souffre pas la solitude… ni la touriste qui compte ses sous !

Crémone
duomo  Orvieto
Mes villes préférées (en dehors de la trilogie Rome, Florence, Venise), Orvieto, Lucques, Urbino, Mantoue, Torno (une piccolissima au bord du lac de Côme), Crémone…, les cinque terre et la meravigliosa Sienne. Venise, j’ai eu une crise de désamour en mars 2002, juste après le passage à l’euro, c’était dégoûtant et révoltant, une fabrique d’arnaque au touriste phénoménale… Je fais toujours un peu la gueule et n’y suis pas retournée mais cela ne saurait tarder…


Vulcano
En Sicile j’ai été stupéfaite de découvrir des villes entièrement baroques comme Noto (construites ou reconstruites après le tremblement de terre au XVIIIème siècle). 



Je ne résiste pas au plaisir de transcrire une soirée de Dumas à l’opéra de Florence, pour la première de Pia de Tolomei (un épisode très court, 7 vers, dans la Divine Comédie). Ses récits de voyage se parent de son goût pour le vivant, l’intrigue, les femmes… il a été viré manu militari des Etats pontificaux,  il a eu une liaison avec une célèbre cantatrice hongroise qui débuta lors d’une tempête sur le bateau qu’il avait loué (pour faire le tour de la Sicile) pendant que le fiancé de la diva était prostré sur le pont par le mal de mer…

« Il est impossible de faire preuve de patience plus longue et plus bienveillante, de saisir avec plus d’empressement tout ce qui pouvait consoler la pauvre Pia des douleurs que lui faisait souffrir son mari ;…, enfin lorsqu’il n’y eut plus aucun espoir de trouver un éclair de talent, lorsqu’on eut attendu un acte et demi pour saisir une intention musicale ou dramatique, et qu’on vit qu’il n’y avait plus rien à espérer ni d’un côté ni de l’autre, les conversations particulières commencèrent à s’établir, et les visites à se faire. On se promena bras dessus bras dessous comme on aurait pu le faire à la Bourse ; mais tout cela sans un sifflet, sans un murmure….Bientôt ce qui se passait sur le théâtre devenu tout à fait indifférent au parterre, les acteurs continuèrent de chanter pour l’acquis de leur conscience, et les spectateurs cessèrent complètement d’écouter par intérêt pour leurs oreilles, et peut-être la pièce eût-elle été jusqu’au bout sans l’imprudence du poète qui avait mis parmi les siens un vers de Dante.
Ricordati di me che son la Pia (souviens toi de moi qui suis la Pia).
C’était le refrain d’une cavatine chantée par la prima donna : cette espèce d’hommage à Dante, accompagné d’un air moins médiocre que les autres, rendit tout à coup au public son attention ; il se retourna, écouta avec bienveillance le premier couplet, avec complaisance le second, mais à la fin du troisième, et lorsque la Caroblei eût achevé le vers sacramentel : Ricordati di me che son la Pia
Un des spectateurs, profitant du silence, chanta sur le même air et sur le même ton :
Ricordati di noi qu’andiammo via (souviens-toi de nous qui nous en allons)
prit son chapeau, sa canne, et sortit ; ce fut un signal pour toute la salle, et chacun le suivit répétant la plus bouffonne parodie d’un des vers les plus mélancoliques de Dante. » [1]

J’aime croire que ce qui a scellé un amour si profond ce sont les larmes que j’ai versées, plusieurs fois,  car le film passait souvent quand j’étais piccola, sur Gelsomina et sa bouille d’artichaut…






[1] Alexandre Dumas Une aventure d’amour