lundi 11 juin 2012

Sentimental océanique




Cette photo a été  prise à Munnar dans le Kerala

Je voyais un attroupement se former, un gamin tendait une corde, son père (ou supposé) plantait les poteaux, et un petit sac de jute avachi remuait dans un coin. Tout à coup j’ai eu peur, je ne voulais pas rester là, c’était comme si toutes  mes peurs  de l’Inde s’étaient cristallisées dans ce sac et je redoutais d’en voir le contenu.
Je pensais que cela pouvait être un enfant mais je craignais qu’il soit estropié, monstrueux…

A plusieurs reprises l’Inde s’était offerte en plein jour dans le plus sombre cauchemar…
La première fois, à Jaisalmer, je regardais le coucher de soleil sur la ville, un peu à l’écart pour noter quelques impressions dans mon petit carnet. Et tout à coup je le vis, un homme-araignée qui montait, ou plutôt qui rampait sur les marches pour accéder au sommet où se trouvaient les touristes. Et je ne pouvais plus voir que cela, même si je regardais furtivement, et ma terreur décuplait à l’idée qu’il s’approche de moi…

Une autre fois, dans le centre de l’Inde, j’écarquillais les yeux dans le bus pour ne rien manquer du spectacle…et je le reçus dans la rétine, un torse sans bras avec un visage posé devant une tente dans un campement, je l’ai revu tout au long du voyage dès que je fermais les yeux et longtemps après, et surtout j’avais peur de voir ce que je regardais…

En Inde du sud la tension s’était beaucoup relâchée, les mendiants près des temples ne venaient pas pour nous spécialement. Quand j’ai donné mes chaussures près d’un des grands temples bariolés du Tamilnadu, j’en ai repéré un qui avait une main monstrueuse, il nous suivait de loin, comme d’autres, mais quand il a fallu reprendre nos godasses moyennant quelques roupies, il était tout près. J’avais tout au long adopté une attitude qui me permettait de fuir les gros plans, et là mon compagnon me dit « donne lui une pièce » ce qu’il a aussitôt enregistré, quelle que soit la langue, car il m’a mis sa main sous le nez. Evidemment quelqu’un s’est fait engueuler…c’était ma manière de me protéger, fermer mes écoutilles visuelles et mentales.

Quand nous faisions un long trajet en train, je redoutais de descendre me dégourdir les jambes sur le quai, mon angoisse étant de me faire happer la cheville par un rampant  et cela doit se rapporter à un fantasme collectif puisque j’ai vu cela dans la bande dessinée  bonjour les Indes  (Dodo Ben Radis Jano).

Alors dans cette région montagneuse du Kérala, où je ne voyais plus  d’horreurs , mes défenses étaient tombées; dans cette petite foule qui se rassemblait, je voulais partir mais je restais clouée, et la fillette est sortie lentement du sac, entière, a grimpé sur la corde presque aussi tendue que moi…

 J'ai quand même pris mon appareil photo, malgré les larmes qui coulaient, sur cette gamine, sur l’Inde, sur les enfants empereurs de l’orient et de l’occident, sur moi, sur les romans sentimentaux de mon enfance, et l'impression d'être dans un chapitre de sans famille  !

dimanche 3 juin 2012

Je suis l'origine du monde


C’est difficile à concevoir, je le sais, eh bien oui je suis la femme de l’Origine du monde. Peu importe mon nom, Joanna, Louise ou Manon, peu importe que je sois simple modèle ou duchesse…J’espère seulement que quelques voyeurs se sont un jour posé la question de savoir quel visage se profile au-dessus de ce ventre féminin ?

premier cache-sexe
le deuxième d'André Masson
J’ai bien rigolé quand je séjournais chez Lacan, encore plus quand Sylvia a livré bataille pour que j’ai un cache-sexe, qui n’était pas mal, épousait bien mes courbes, une terre érotique , mieux que le premier qui avait beau être un Courbet, je m’ennuyais un peu derrière le panneau.

N’empêche j’aurais aimé que Gustave assiste à cela, son tableau! chez un grand prêtre de la psychanalyse qui a eu beaucoup de temps pour faire circuler mystères et rumeurs.

Il est vrai que j’ai pas mal galéré. Du riche collectionneur turc Khalil-Bey je suis passée au baron de Havatny, qui m’a emmenée à Budapest. A l’arrivée des nazis il m’a cachée dans une banque sous un faux nom. Les Russes m’ont capturée mais le baron m’a rachetée à un officier de l’armée rouge et je suis retournée à Paris dans le fond d'une valise diplomatique...mieux que Mata-Hari non ?

Après toutes ces aventures je suis entrée à Orsay en 1995, un peu comme on rentre au couvent! Il y avait même le ministre, un élu du sud-ouest, qui évitait de se faire photographier à mes côtés pour ne pas effaroucher ses électeurs de Lourdes !

Quelle foule au début et maintenant encore, ça défoule et refoule, certains ne font que passer, n’osent pas regarder vraiment, courent voir l'Enterrement à Ornans pour se purifier, le pire ce sont les groupes qui prennent des mines contrites et faussement gênées.
J’aimais mieux les grands dadais de la fin du XIXème qui complotaient pour m’apercevoir, qui étaient excités et ravis, eux n’avaient pas du porno à portée de clic.

Quelquefois j’ai des pensées perverses, je me prends trop la tête, je m’approprie celle de Mona Lisa et elle se retrouve au Louvre avec cette partie de son anatomie que la bienséance a toujours cachée…

J’ai l’œil sur tout, et je suis aussi vigilante que mes gardiens qui craignent qu’un allumé vienne me lacérer.
 
Et je reste là maintenant, offerte à tous et invisible, parfois lasse d’écarter les cuisses, mais toujours fière qu’un peintre de la nature, des villageois, des animaux, de la chasse, se soit aventuré plus loin encore que dans le lit de ces deux femmes enlacées dans le sommeil