mardi 20 décembre 2016

Ce rien qui n'est pas rien



Je suis en train de lire l’essai de Daniel Arasse, on n’y voit rien, les reproductions sont en noir et blanc et pour sa première étude, Mars et Vénus surpris par Vulcain, je n’y voyais doublement rien quand je me référais à l’image. Il a fallu que j’aille voir le tableau en couleurs pour repérer l’amant, Mars casqué caché sous la table, le petit roquet qui aboie le signale mais Vulcain peut-être dur de la feuille et occupé ailleurs semble l'ignorer !

En feuilletant un vieux Télérama hors-série (rendez-vous au Louvre) je suis tombée sur le tableau célèbre Gabrielle d’Estrée et une de ses sœurs, la première se fait pincer le sein par la seconde qui lui tient  le mamelon entre le pouce et l’index arrondis… la femme pincée montre une bague dans l’autre main ; c’est un inconnu de l’Ecole de Fontainebleau qui l’a peint. S’il est considéré aujourd’hui comme une œuvre belle et mystérieuse il représentait à sa naissance (1595) l’équivalent d’une caricature du Canard Enchaîné nous dit Emmanuel Le Roy Ladurie.

Gabrielle était la maîtresse du roi Henri IV et le fait de la représenter nue dans son bain était déjà fortement irrévérencieux mais le peintre en a rajouté une couche car la pinceuse ne serait pas sa sa sœur Julienne d’Estrée, duchesse de Villars, mais Henriette d’Entragues la favorite qui va succéder à Gabrielle dans le cœur et le lit du souverain. Ce geste un peu chichiteux ferait allusion à la naissance du royal bâtard César de Vendôme et la bague rappellerait la promesse de mariage d’Henri IV à l'ancienne et à la nouvelle car double scandale à la cour il aurait promis le mariage aux deux!

 C’est aussi palpitant que chez les Borgia… Et la vieille dans le fond serait occupée à tricoter de la layette, ça c’est moins sûr et n’est peut-être qu’une interprétation de plus


Daniel Arasse a enregistré une série d’émissions sur France culture en 2003, l’année de sa mort. Dans l’une d’elles, à propos de la chambre des époux de Mantegna (palais ducal de Mantoue) il souligne que maintenant on ne peut plus voir cette fresque fascinante, dans laquelle il est resté des heures… car au bout d’un quart d’heure il faut dégager pour le groupe suivant.



On peut aussi ne rien voir quand il y en a trop… et être découragé par les files d’attente, déjà. C’est pour cela que j’apprécie la carte musées qui me permet de voir plusieurs fois une exposition et parfois de revenir pour un seul tableau.


Toujours dans le Télérama j’ai relevé ces propos de Michel Bouquet.

Je ne vais plus guère au Louvre aujourd’hui. Je ne supporte plus l’entassement des tableaux les uns au-dessus des autres, tous ces chefs-d’œuvre accumulés dans la Grande Galerie, ces différentes écoles juxtaposées ! Trop d’émotions…ça me donne le vertige, je ne vois plus rien. J’étouffe…Ou alors, il faudrait n’aller au Louvre que pour voir un seul tableau. Et fermer les yeux jusqu’au moment d’y arriver. Et fermer les yeux jusqu’à la sortie, au moment de repartir.