samedi 25 février 2012

Chambre avec vue

Une chambre dans une maison en Ardèche, chez des amis…

L’été, la fenêtre ouverte, la pleine lune qui jette une étrange lueur, un lit au sommier très haut, une cruche avec des fleurs séchées sur la commode, les bruits de la nuit qui étouffent peu à peu ceux du jour…

L’odeur de pomme est toujours présente, c’est un peu l’identité de la maison, sa marque de reconnaissance.

Tu l’as connue il y a longtemps, il n’y avait pas de confort, tu es venue seule une semaine, tu faisais ta soupe sur le fourneau pour plusieurs jours, pas question de louper le camion de l’épicier car tu n’avais pas de voiture ; tu es allée marcher des heures sur l’ancienne voie romaine. Un des chiens de la communauté où tu t’es rendue, dans la vallée de la Beaume, t’avait suivie au retour et tu as du le confier au boulanger pour qu’il le ramène dans sa tournée.

Tu évitais quand même le soir venu de prendre Dracula dans la bibliothèque.

Il faut sortir de la maison principale pour accéder à cette chambre et gravir de hautes marches de pierre.
La porte grince toujours un peu quand on l’ouvre, les branches du haut châtaigner de la terrasse obstruent la lumière à cette chiche fenêtre, la nuit elles font danser les ombres ballottés par le vent et les éclats de lune.

Quel plaisir, le soir venu, après une soirée au coin du feu, de se mettre sous la couette avec son livre. La seule concession à la modernité, c’est une super lampe qui permet de lire longtemps, avant de se laisser happer par l’atmosphère douillette de ce lieu que tu aimes.
Et tu t’endors avec le sentiment d’être ici à ta place.

Il y a longtemps vous êtes venus ici en famille, chatte y comprise ; celle-ci a eu la bonne idée de grimper dans le châtaignier où elle a passé la nuit ; je faisais des aller retour avec la lampe de poche en lui miaulant de descendre…cette andouille est allée encore plus haut, et pour finir c’est le paysan du hameau qui l’a fait tomber avec sa gaule pour les noix ! Elle s’est un peu amoché le museau sur l’escalier de pierre et c’est un gag plus stressant que la chercher partout aux abords de l’immeuble un soir et la retrouver quelques heures après dans un tiroir de la commode !


Tu n’es pas venue pendant tant d’années… Quand ton pied a foulé les bogues de châtaignes, quand tu as revu les terrasses, le lavoir (en cadeau un pêcher en fleurs le 31 décembre !), cette  montagne loin et proche tu t’es demandée comment tu as pu ignorer si longtemps cet endroit qui t’es si cher (le seul changement et il est de taille ce sont les ruines qui sont toutes résidences principales ou secondaires). 


Tu as toujours imaginé que Blanquette (on ne dirait pas seulement ici qu’elle était jolie… on dirait qu’elle était brave ou bravette) partait de l’enclos du Léon pour batifoler dans ce Tanargue qui devient violet au crépuscule. Après le coucher du soleil il vaut mieux ne pas savoir ce qui s’est passé… 




dimanche 12 février 2012

passe moi le sel

Encore une consigne de Pascal Perrat que j’utilise ici pour discourir sur le discours…


Je suis un vieux point d’interrogation, de plus en plus voûté et de moins en moins enthousiaste…avant je me posais plein de questions, je semais le doute de ci de là, j’employais le futur, le conditionnel avec allégresse, je laissais entrevoir mille possibles, des projets réalistes aux rêves soigneusement enfouis, et surtout je secondais la plume des grands orateurs.

Dans le discours de Jaurès à Albi en 1903 je me souviens que j’intervenais au moins 8 fois, autant que mon collègue le point d’exclamation, et pour le fun, ou plutôt pour le style voici le préambule de ce discours :

« C’est une grande joie pour moi de me retrouver en ce lycée d’Albi et d’y reprendre un instant la parole. Grande joie nuancée d’un peu de mélancolie ; car lorsqu’on revient à de longs intervalles, on mesure soudain ce que l’insensible fuite des jours a ôté de nous pour le donner au passé. Le temps nous avait dérobés à nous-mêmes, parcelle à la parcelle, et tout à coup c’est un gros bloc de notre vie que nous voyons loin de nous. La longue fourmilière des minutes emportant chacune un grain chemine silencieusement, et un beau soir le grenier est vide. »

Avec Bossuet j’y allais de bon cœur dans la chute de ses sermons, en particulier celui sur l’ambition : «...est-ce là que devait aboutir toute cette grandeur formidable au monde ? Est-ce là ce grand arbre qui portait son faîte jusqu’aux nues ? Il n’en reste plus qu’un tronc inutile. Est-ce là ce fleuve impétueux qui semble devoir inonder toute la terre ? Je n’aperçois plus qu’un peu d’écume. »

J’ai connu mes heures de gloire et de jeunesse avec Cicéron et ses Catilinaires, ah dès la première exorde, il passait un sale quart d’heure le méchant :
« Enfin Catilina ! jusqu'à quand abuseras-tu de notre patience ? Combien de temps encore cette folie qui est la tienne se jouera-t-elle de nous ? Jusqu’où ton audace effrénée se déchaînera-t-elle ? …Ta conjuration, puisqu’elle est déjà connue de tous ici, est étouffée, tu ne le vois pas ? »

J'étais heureux de traverser l’Atlantique et de ponctuer le discours inaugural de Thomas Jefferson en 1801 et fier de scander le moment fort de la plaidoirie de Robert Badinter pour l'abolition de la peine de mort en 1981 (Pourquoi ce retard?).

Et maintenant me direz-vous ?
Eh bien je le répète je suis fatigué, les orateurs si tant est qu’il y en aient, ne s’interrogent pas, ils foncent plutôt vers l’affirmation brute et péremptoire, quand ils ne foncent pas carrément sur la tribune , et la cacophonie va s’accentuer dans les graves et les aigus pendant deux bons mois…

Quelques historiens, quelques philosophes, quelques utopistes peut-être ? J’ose espérer encore…

Je me reconnaissais parfois dans le regard candide des enfants qui jouaient. Maintenant ces mêmes enfants ne se demandent plus s’ils étaient, s’ils seraient…s’ils se posent parfois une question, ils l’envoient vite par SMS à un copain, sous la forme parfois interrogative mais combien inélégante du style « c’est qui le bouffon qui remplace Truc… ? » et là, malgré mes vieux os arrondis par l’arthrose, je suis tenté de prendre une autre forme et de m’exclamer niaisement « c’est Kiki !».

Mon rôle est de plus en plus réduit, même dans le quotidien le plus trivial.
Qui dit encore ?
Veux-tu me passer le sel s’il te plait ?


Une vidéo sur un  discours
qui vaut largement le détour