dimanche 20 septembre 2020

L'écriture et la vie

C’est une des rares photos qu’on ait d’elle…

On sait qu’elle est née en 1935 dans le Sussex, ses parents faisaient partie de la petite bourgeoisie aisée, ils sont morts dans un accident quand elle était encore bébé. Elle est partie en Inde vivre chez un oncle jusqu’à l’indépendance ou peu après je ne sais pas exactement. Elle a fait des études à Londres, anglais histoire et a commencé à écrire à l’aube des années 60.

On peut dater cette photo à la parution de son premier livre, un best seller comme on dit maintenant.

Elle est belle, pleine d’assurance, le regard mi-ironique, mi-interrogateur ; en arrière-plan sa machine à écrire. Elle était déjà fiancée à ce fils de maharadjah du nord de l’Inde puisqu’elle porte le magnifique collier avec un rubis qu’il lui a offert. Elle arbore bien sur le fume-cigarette qui ne la quittait jamais. C’est son ami Brian Taylor qui a pris la photo, étonnante pour l’époque, ce visage lumineux, presque provocant, sur un fond sombre, je ne sais qui a rédigé le court article, sobre et plutôt bien écrit, et tout cela a paru dans le Times.

C’est la première fois que son nom s’étalait dans la presse, peu de gens la connaissaient alors, elle n’avait écrit qu’un seul livre qui a eu certes beaucoup de succès mais depuis Jane Austen tant de femmes écrivent en Angleterre qu’on n’a pas tout de suite enregistré le nom de miss Rebecca Eliott.

Depuis lors peu de photos, jamais d’interviews.

Ce qu’on a réussi à savoir d’elle a filtré par des proches, des voisins, des secrétaires…

On sait qu’elle aime les tuniques indiennes, qu’elle fait faire à Bénares dans un coton spécial, les pulls en cachemire mais déteste les jupes en tweed !

Elle aime marcher dans la lande du Devonshire, on ne situe pas vraiment où elle habite, elle a certainement brouillé les pistes.

Elle déteste qu’on se renseigne sur elle, sur sa vie et en même temps elle se fiche royalement des cancans.

La seule chose qu’elle évoque sans se faire prier c’est sa période indienne, un conte des mille et une nuits dit-elle en riant.

Elle apprécie Virginia Woolf, Edith Wharton et Forster, particulièrement route des Indes.

Elle écrit le matin, souvent très tôt. Elle peut vivre dans le désordre, sa chambre est un foutoir, son salon ne fait pas très five o’clock, mais son bureau est un damier géométrique ; les crayons sont toujours bien alignés et taillés, un bloc de papier grand luxe sur un coin du bureau, d’autres en attente sur l’étagère de la bibliothèque et la fameuse Remington en solitaire sur une petite table près de la fenêtre.

Elle ne fume pas le matin, après le thé de l’après-midi elle se rattrape et elle vient souvent à bout de son paquet en fin de soirée.

Elle vit seule. Elle va à Londres souvent pour voir ses amis, aller au théâtre, rencontrer son éditeur…

Je me souviens de l’annonce fracassante qu’elle a faite dans une réception chez lady Bronson. Je regardais cette femme toujours belle, si libre d’allure et aucun signe, hormis la coiffure, peut-être l’habillement, n’aurait pu indiquer que c’était dix ans après la photo du Times.

Elle a déclaré qu’elle cessait d’écrire des romans a-t-elle précisé!

Tout le monde se regardait, incrédules, ce n’était pas dans les habitudes de Rebecca de faire des jokes, encore moins de ce goût là, elle a évité les questions en ajoutant : ne me demandez pas pourquoi…

Et bien sur les cerveaux carburaient, les langues qui ne pouvaient se délier devaient chauffer…Mais pourquoi ? Elle a tant de succès, elle a du talent, elle sait se renouveler…c’est vrai qu’on n’a jamais su pourquoi le mariage hindou n’a pas eu lieu, on lui a certes prêté d’autres fiancés, amantes… une rumeur a circulé sur son amitié avec Laura Simpson, mais qu’est ce que ça change ?

Les people sont repartis de cette réception en restant sur leur faim, et on n’a plus entendu parler de Rebecca, la romancière, ni de la femme pendant de nombreuses années.

 

Aussi en 1980 quand le livre est sorti ce fut un coup de tonnerre, et quelques jours après un cataclysme quand on apprit sa disparition…au même âge que Virginia Woolf elle se donnait la mort. Etait-ce son testament ?

 


J’ai imaginé cette bioromance à partir de cette photo.

J’ai su ensuite qu’il s’agissait de Charlotte Delbo, écrivaine et femme de lettres, née en 1913 de parents italiens, engagée dans la Résistance au côté des communistes et de son mari en 1941, il sera arrêté avec elle et fusillé en 1942, elle sera déportée à Auschwitz en 1943 dans « le convoi des 31000 » dont elle sera l’une des 49 rescapés.

Elle apprend la mort de son frère, elle commence à écrire après une période de dépression et comme Robert Antelme et Promo Levi, décide d’en parler

Elle reprend un temps son travail d’assistante auprès de Louis Jouvet et publie en 1965 « Aucun de nous ne reviendra ».

Elle appréciait le champagne.

Morte d’un cancer du poumon en 1984, elle a confié ces dernières paroles  à une amie :

                   Tu leur diras, toi, que j’ai eu une belle vie !