Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. Marcel Proust
Hier j’ai voulu faire un pâté aux pommes inspiré de ma grand-mère… quel ne fût pas mon étonnement en cherchant si une recette existait sur Internet de découvrir qu’on mentionnait le pâté forézien appelé aussi celui de la batteuse… je le dégustais, je devrais dire le dévorais exclusivement les jours où on battait le blé, seul moment où il y avait de grandes tablées dans la petite ferme de mes grands-parents. J’attendais avec impatience le dessert, ce pâté doré, étonnée que cette chose délicieuse contienne du saindoux quand ma grand-mère m’a montré les restes de graisse qu’elle mettait dans la pâte.
J’étais carrément éberluée quand j’ai lu qu’on pouvait trouver aussi la variante à l’ancienne avec le saindoux…
J'imagine que quelqu’un a du poster sur le net des souvenirs de son pâté, de son origine (la région, la batteuse…), peut-être qu’il s’agit d’une payse mais cela ne fait que renforcer cette impression que les souvenirs peuvent se diluer dans d’autres et le mélange ne donne parfois qu’une sauce insipide.
Je suis liée à ce pâté dans
l’histoire familiale… j’étais dans les bras de mon père (ou ma mère) et j’ai
arraché violemment à un enfant à ma hauteur ce qui
ressemblait à ma madeleine… qui n’est pas le chausson aux pommes je précise car
il n’a rien de feuilleté à part les couches de la mémoire.
Quand j’ai fait ce dessert il y a plusieurs années j’avais glané çà et là des éléments pour le réaliser. Internet donne les recettes oubliées et recolle même les morceaux de souvenirs épars qui sont resservis avant qu’on le désire… c’est la frustration à l’envers. Plus besoin de faire le parcours parfois tortueux mais si agréable quand un petit caillou ramassé sur le chemin soulève un flot de souvenirs, un Peter pan de la mémoire…
moisson à l'ancienne