mardi 26 octobre 2021

panne d'inspiration

 

J’ai déjà cité Boris Vian affirmant que le poète écrit sous le coup de l’inspiration. Il rajoute qu’il y a des gens à qui les coups ne font rien.

Même dans la douceur de l'automne les bribes d’écriture esquissées me font rougir de honte et périr d’ennui, alors la pirouette de secours eh bien c’est Boris !

Il régnait en ce temps-là
Grande pénurie de bûches
Et le baron de Trucmuche
Possédait un bien beau bois
Apprenant cette disette
Il se présente au palais
Et sans tambour ni trompette
Propose au roi sa forêt

Je veux bien qu'on me les coupe
Car il fait vraiment très froid
Je veux bien qu'on me les coupe
Et chacun se réchauffa

Un jour, un tout jeune auteur
Est convoqué fort ému
Chez un célèbre éditeur
Qui lui dit: je vous ai lu
Il y a cinquante pages
De trop dans votre bouquin
Coupez-les, et je m'engage
A vous éditer demain

Je veux bien qu'on me les coupe
Répond l'auteur pris de court
Je veux bien qu'on me les coupe...
Et il eut le Prix Goncourt

Les femmes menaient grand bruit
Dans le harem du Sultan
Celui-ci, furieux, s'écrie:
Qu'on m'amène Abou-Hassan!
Abou-Hassan, écout'moi
Je te nomme Grand Ennuque!
Abou-Hassan le reluque
Et dit: Je ne marche pas

Je veux bien qu'on me les coupe
Si j'accepte ce truc-là
Je veux bien qu'on me les coupe...

Alors, on les lui coupa.

les paroles sont de Boris Vian, la musique de Goraguer 

 

il me fait penser à quelqu'un...mais à qui?



 

 


mardi 7 septembre 2021

Rocco et son frère

 

Alain Delon crevait l'écran dans Le guépard et ici dans Rocco et ses frères


Je n’ai jamais évoqué Jean-Paul Belmondo. L’ironie de la déprogrammation fait qu’Arte a passé hier au soir Le voleur avec Belmondo à la place d’Un flic avec Delon.

La légèreté n'était pas de mise quand la journaliste d'Inter demandait hier au soir aux auditeurs de dire quel était leur Belmondo, le nouvelle vague ou l’aventurier, Michel Poiccard (A bout de souffle) ou Rocco (100 000 dollars au soleil) ? Que veut-on avec ce genre de question ? du sensationnel, de la comparaison, du clivage, de l’intellectuel contre le populaire et j’en passe ?

Les deux acteurs sacrés monstres ont tourné pour la première fois dans « Sois-belle et tais-toi ». Le litige a commencé à propos de grosseur de... caractères! « Nous n’avons que deux petits rôles mais Alain a son nom écrit en plus gros sur l’affiche de promotion » fait remarquer Belmondo. La fièvre monte sur le tournage de Borsalino quand la Paramont présente en gros titre « une production Alain Delon » alors qu’un accord stipulait qu’aucun nom ne devait faire de l’ombre à l’autre. Le tribunal donne raison à Belmondo et les deux acteurs deviennent très très amis…mais aucun film mémorable ne jaillira de cette amitié.

Au décès d’Alain Delon on entendra certainement les mêmes commentaires, d’un côté l’acteur « italien » (Visconti, Antonioni, Zurlini…), de l’autre les rôles de flic ou voyou (Melville, Verneuil, Deray…).

A propos de tendre voyou un petit épilogue avec Ferdinand taxé d’anarchiste moral et intellectuel à la sortie de Pierrot le fou et la jolie ligne de hanche de Marianne.

 





 

 

samedi 1 mai 2021

péché capital

 

Ce premier mai pluvieux, gris et triste invitait au voyage à travers le cinéma américain. J’ai choisi un film vu et revu…pour Gene Tierney, pour l’histoire, pour la jubilation que ce film ait échappé à la censure.

Péché mortel (Leave Her to Heaven) de John M. Stahl m’a propulsée encore une fois dans les délices de la friandise savourée par avance. La première fois, au CNP Terreaux, j’avais poussé un Oh de ravissement quand l’héroïne baisse son livre et cela avait fait rire le spectateur derrière moi. Il est vrai qu’ensuite j’ai essayé de voir tous ses films et elle est sublime, forcément sublime dans Laura, un autre de mes doudous de cinéma.

Mais aucun n’égale en noirceur, en folie possessive et meurtrière, son personnage de Péché mortel. Ce film commence comme un mélo flamboyant en diable et en beauté et dévie vers le film noir bien noir…

La censure a essayé de supprimer la scène où elle se laisse choir dans l’escalier et je ne sais comment elle a été sauvée (la scène) mais il est vrai que cela aurait enlevé un morceau de choix à l’intrigue.

C’est le premier film en couleurs de J. M. Stahl, tourné en extérieurs et je désespérais de voir deux de ses films, Images de la vie et Le secret magnifique. Douglas Sirk en a fait des remakes; pour le deuxième il n’a pas changé le titre et l’autre c’est le célèbre Mirage de la vie. Il a été projeté lors du festival Lumière 2016, version restaurée…tout ça, Lana Turner flamboyante…c’était la troisième fois que je le voyais mais je n’étais pas immunisée pour autant et je n’étais pas la seule à pleurer…Chasse aux trésors fructueuse à la bibliothèque, au silo j'ai pu emprunter le coffret avec les deux secrets...et j'ai réservé Images de la vie.

« Visage d’ange et cœur de ténèbres ». C’est ainsi que Martin Scorsese décrit la vénéneuse héroïne de ce film antidote à la grisaille et à l’ennui.  


 

dimanche 14 mars 2021

Fin de bal

Boris Cyrulnic, dans une chronique sur France Inter, parlait du guépard, le film de Visconti et faisait le parallèle entre l’œuvre et la vie du cinéaste. Il ne mentionne pas qu'il s'agit d'une fidèle adaptation du livre de Lampedusa.

Quand j’ai commencé à le lire j’avais l’impression que ce n’était pas une première. Puis, au fur et à mesure que j’avançais dans la lecture je me suis rendu compte que c’étaient les images du film, vu plusieurs fois, qui se superposaient à l’écriture.

Et ce livre est une merveille. Visconti, avec tout son talent, ne pouvait rendre cet humour féroce qui transparait à chaque page mais il a su choisir des acteurs qui débordent de la page.

Quand le prince Salina fait « sa » demande à don Calogero pour l’union de sa fille, la belle et riche Angelica, avec son neveu Tancredi (beau prince désargenté), Lampedusa l’imagine déglutissant une couleuvre et le lecteur la voit descendre doucement dans son gosier…

« Les derniers petits os de la couleuvre avaient été plus écœurants que prévus ; mais en fin de compte eux aussi avaient été avalés. »

A partir de là les images se sont inversées, je ne voyais plus celles du film tellement le livre est évocateur…dans le chapitre du bal on se les représente, suspendues aux lustres, ces jeunes filles raillées par le Prince…« la fréquence des mariages entre cousins, dictés par la paresse sexuelle et les calculs terriens, la rareté de protéines dans l’alimentation aggravée par l’abondance d’amidon, le manque total d’air frais et de mouvement, avaient rempli les salons d’une foule de jeunes filles incroyablement petites, invraisemblablement olivâtres, insupportablement gazouillantes…il lui semblait être le gardien d’un jardin zoologique en train de surveiller une centaine de jeunes guenons : il s’attendait à les voir tout à coup grimper aux lustres… »

Dans le bal final, dans la riche maison des Ponteleone, la mauvaise humeur de Don Fabrizio s’en prend au mobilier vieillot, aux miroirs ternis, à ces catacombes…et sa lucidité sur le déclin d’un monde, de son monde, font immédiatement penser au bal du temps retrouvé chez la princesse de Guermantes, ex mère Verdurin. Ici celui qui va monter, qui est déjà bien haut c’est don Calogero que la famille Salina a fait inviter au bal puisque père d’Angelica ; la présence de cette dernière c’est un peu l’ultime revanche du prince, l’irruption de la beauté et d’un sang nouveau chez ces gens « qui composaient le monde, toujours les mêmes, ne se lassaient pas de se rencontrer, pour se féliciter d’exister encore ».

Il retrouve sa jeunesse le temps d’une valse avec Angelica, « à chaque tour une année tombait de ses épaules » ; mais le prélude et le final sont teintés par l’évocation de la mort. En partant au bal la calèche croise un prêtre portant un calice et le Saint Sacrement. Sa mélancolie, réapparue après la danse avec sa future nièce, fait dire à son neveu Tancredi : Mais qu’est-ce-que tu regardes ? Tu courtises la mort ? Le prince rentre seul, les rues commencent à s’animer mais il reste quelques étoiles, grand réconfort de Don Fabrizio, en particulier Vénus  et il imagine le rendez-vous moins éphémère qu’elle  pourrait lui donner.

Sa passion pour l’astronomie est un peu l’antidote à l’emprise de la religion, le roman commence par la récitation (quotidienne) du Rosaire. Après la mort de Don Fabrizio ses trois filles, vieilles, bigotes, ont fait une grande collection de reliques exposées dans la chapelle du palais. Le cardinal de Palerme, après expertise, en a certifié cinq et les demoiselles Salina, en colère, doivent avaler cette couleuvre qui aurait certainement étouffé leur père pour d’autres raisons.

Le prince sicilien Giuseppe Tomasi Di Lampedusa est mort juste après avoir écrit ce roman. Dans une lettre envoyée, avec le manuscrit, à son ami Enrico Merlo, il précise « Il est superflu de te dire que le prince de Salina est le prince de Lampedusa, Giulio Fabrizio, mon arrière-grand-père : tout est vrai : sa taille, les mathématiques, sa fausse violence, son scepticisme,  sa femme, sa mère allemande, son refus d’être sénateur. » Voici la dernière phrase :

Je crois que l’ensemble ne manque pas d’une poésie mélancolique particulière 

 



 

 

dimanche 31 janvier 2021

la recette du souvenir

 

Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. Marcel Proust

Hier j’ai voulu faire un pâté aux pommes inspiré de ma grand-mère… quel ne fût pas mon étonnement en cherchant si une recette existait sur Internet de découvrir qu’on mentionnait le pâté forézien appelé aussi celui de la batteuse… je le dégustais, je devrais dire le dévorais exclusivement les jours où on battait le blé, seul moment où il y avait de grandes tablées dans la petite ferme de mes  grands-parents. J’attendais avec impatience le dessert, ce pâté doré, étonnée que cette chose délicieuse contienne du saindoux quand ma grand-mère m’a montré les restes de graisse qu’elle mettait dans la pâte.

J’étais carrément éberluée quand j’ai lu qu’on pouvait trouver aussi la variante à l’ancienne avec le saindoux…

J'imagine que quelqu’un a du poster sur le net des souvenirs de son pâté, de son origine (la région, la batteuse…), peut-être qu’il s’agit d’une payse mais cela ne fait que renforcer cette impression que les souvenirs peuvent se diluer dans d’autres et le mélange  ne donne parfois qu’une sauce insipide.

Je suis liée à ce pâté dans l’histoire familiale… j’étais dans les bras de mon père (ou ma mère) et j’ai arraché violemment à un enfant à ma hauteur ce qui ressemblait à ma madeleine… qui n’est pas le chausson aux pommes je précise car il n’a rien de feuilleté à part les couches de la mémoire. 

Celui d’hier n’est pas mauvais et je vais en porter un morceau à ma mère que je n’ai pas vue depuis plusieurs mois… cette tranche de souvenir nous aidera à oublier que je ne peux la voir chez elle mais dans un lieu protocole de sa résidence…

 

Quand j’ai fait ce dessert il y a plusieurs années j’avais glané çà et là des éléments pour le réaliser. Internet donne les recettes oubliées et recolle même les morceaux de souvenirs épars qui sont resservis avant qu’on le désire… c’est la frustration à l’envers. Plus besoin de faire le parcours parfois tortueux mais si agréable quand un petit caillou ramassé  sur le chemin soulève un flot de souvenirs, un Peter pan de la mémoire…


 moisson à l'ancienne