vendredi 29 novembre 2013

Mais qu'allais-je faire dans cette galère?

Après bien des hésitations Sganarelle décide d'écrire à son créateur ...

 Monsieur Molière

Excusez la liberté que je prends, je sais que vous avez beaucoup de travail, que la Cour est toujours avide de nouvelles pièces, mais je voudrai mettre un peu les choses au point, soi dit sans vous offenser.
Je ne viens pas ici faire le fâcheux ni me plaindre, je l’ai déjà fait plusieurs fois auprès de mon maître, et cela n’a fait qu’empirer les choses, voire me rendre plus ridicule encore. 
Je souhaiterais que vous m’expliquiez pourquoi VOUS qui avez peint tant de servantes et de valets sous des traits agréables, qui leur avez donné des caractères vifs et intelligents, pourquoi m’avez-vous confié ce second rôle si ingrat ?
Dans Tartuffe Dorine est dégourdie, rusée, elle pousse Marianne à la révolte et à la désobéissance, c'est elle qui tire les ficelles et démasque Tartuffe.
Même dans le bourgeois gentilhomme et le malade imaginaire les servantes sont malignes comme tout ! Et ce ne sont pas des comédies pour les grands seigneurs lettrés, presque des farces !
 Et là dans ce Don Juan où vous vous éloignez de la bouffonnerie (et si mon maître n’allait pas périr en Enfer à la fin je ne sais ce qu’il adviendrait de vous comme auteur) eh bien vous trouvez le moyen de mettre face à ce Monsieur fier, arrogant, orgueilleux et impie un véritable benêt assorti d’un couard, tout juste bon à comptabiliser les conquêtes amoureuses de ce libertin et à ramasser les pots cassés, et il y en a de la casse !
Du coup je suis sur que je contribue à rendre Don Juan sympathique parce que le public doit se dire : « d’accord Don Juan est un drôle de coco, mais Sganarelle en tient une couche ! ».
Si je suis censé représenter le peuple vous donnez une image de celui-ci qui n’est pas digne d’un auteur qui n’a pas toujours fait des courbettes aux grands de ce monde.
Voilà monsieur Molière je me suis beaucoup épanché, j’espère que vous n’en serez point froissé mais souvenez vous que je porte un nom illustre et que la Comedia dell’Arte vaut bien la Cour de France.



                         Je vous salue bien bas Monsieur
                             Votre obligé Sganarelle

jeudi 7 novembre 2013

La vie des mots, l'amie des veaux



 
Deux vaches dans un pré de l’Aubrac, elles aiment papoter, elles s’engueulent parfois. Ce sont des privilégiées, vouées à la reproduction, belles robes caramel et elles ont des cornes. Elles savent bien que certaines de leurs congénères sont mutilées, elles ont vu dans un pré voisin du leur un grand troupeau de vaches écornées. J’ai surpris certains de leurs dialogues, ils sont savoureux.

-on rumine, ma chère, on ressasse, mais commençons par une bonne nouvelle, Bill de Blasio est élu maire de New York, et tiens savais-tu que ressasser est le plus long palindrome de la langue française ?
-tu me broutes j’ai oublié ce qu’était un palintruc malgré les nombreux cours que tu as du me faire, par contre je me souviens de la contrepèterie « le mot vache, le veau mâche »…
-c’est tout simplement un mot qui se lit dans les deux sens. J'ai appris ça par ma copine bretonne qui est passionnée par tous les jeux de mots de la lande.
-a-t-elle acheté un bonnet rouge pour aller manifester ?
-je préfère ne pas le savoir, je ne veux pas me brouiller avec elle
-ni avec ta copine suisse qui a un compte chez UBS…
-tu charries c’est pas ma copine, on a fait connaissance quand elle est venue m’interviewer sur le pèlerinage
A Dwarka
-elle pourrait aller voir nos maigres consœurs indiennes, y’a de quoi faire dans ce domaine, pèlerinage et méditation sont les deux mamelles de l’occident fatigué; sais-tu qu’il est question d’introduire la méditation à l’école maternelle ?

méditation au pays basque
-je ne savais pas, c’est la suite logique des débats bouseux sur l’altruisme je suppose. Ce sont des zâneries, je  préfère aux petits zen des veaux chez qui on éveille ou réveille la curiosité et on développe l’esprit critique.
-pourquoi pas des veaux philosophes pendant que tu y es !
-mais j’y suis, si le petit se détache du troupeau, des meuglements de ses parents, parle de plus en plus en son nom, ne bave pas sur le pré plus vert d’à côté et écoute les autres, il est bien loin du veau gras et lisse élevé sous la mère et il peut s’arrêter de temps en temps de regarder passer les trains et de ruminer.
-ah bon et pour quoi faire ?
-eh bien penser maintenant !