samedi 9 avril 2011

Lettre de la marquise de Chaconne à sa fille

Je vous dis souvent, ma chère fille, que vous me faites peine de vivre recluse dans votre campagne, eh bien figurez vous que samedi soir je vous ai enviée de n’avoir pas à subir l’outrage qui m’a été infligé, ainsi qu’aux spectateurs d’une œuvre intitulée  les Indes dansantes d’après (ce pauvre) Rameau, qui n’avait rien demandé de tel !

Je ne dirai rien sur l’orchestre qui a joué fort honnêtement sa partie, en revanche les obsessions chorégraphiques de Madame P. m’ont glacée jusqu’à l’os, voire jusqu’aux articulations, qui gémissaient devant si peu de grâce. Je plains les danseurs d’accumuler tant d’heures de travail pour en arriver là. Je déplore surtout que sous couvert de modernité, de décalage, de revisite d’une œuvre dite poussiéreuse, de provocation et autres transgressions à la noix, des krréateurs nous imposent un spectacle d’une profonde et abyssale vacuité.

L’amie qui m’accompagnait, kinésithérapeute dans une institution qui reçoit des personnes atteintes d’infirmité motrice cérébrale, disait que les mouvements désarticulés des danseurs lui évoquaient les corps disloqués de certains résidents.

Quand la chorégraphe est montée sur scène (ouf ! c’était fini !), moche, le crâne rasé, j’ai eu un moment la vision d’une rescapée de Dachau. Ma méchanceté ne connaît alors plus de bornes lorsque je lis (dans la brochure donnée au théâtre) qu’en 2006 elle a créé un objet chorégraphique particulier, Animale, qui permet la rencontre d’une danseuse et de 50 souris dans un espace réduit de 9 m². Freud aurait pu écrire une sixième psychanalyse, après  l’homme aux rats , voici la danseuse aux souris  !

Tout cela ma fille ne va pas vous donner envie de retourner dans le monde de la culture et des mondanités. Mais j’assisterai avec grand plaisir à la pièce que joueront vos enfants à la fin de l’année scolaire et cela m’est déjà un doux réconfort de penser à leurs mimiques et à l’application qu’ils mettent à cet ouvrage.


J’attends aussi avec impatience, ma douce, une de vos missives impertinentes et je vous embrasse.



Comme antidote à cette critique un peu acerbe je conseille le film (affiche ci-jointe) qui montre la reprise d’un spectacle de Pina Bausch, Kontakhof, avec des  adolescents d’horizons différents, sous la direction de deux danseuses. 

Dans ce film apparaît très nettement que l’ouverture
au monde et aux autres, suscitée ici par la danse, est une force merveilleuse.



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