Danaé et Persée recueillis par un pêcheur |
Et
elles sont trois, les gorgones; elles ont des ailes.
Une chevelure hérissée de serpents et funeste aux mortels.
Leur vue enlève à l’homme le souffle de la vie.
Une chevelure hérissée de serpents et funeste aux mortels.
Leur vue enlève à l’homme le souffle de la vie.
Ce
petit préambule pour planter le décor, la consigne étant les réflexions de
Persée, un arrêt sur image avant d’occire le monstre.
Jusque
là Persée ne s’était jamais arrêté pour réfléchir ou prendre une décision, tout semblait couler et découler de ses actes qui s’enchaînaient
dans une suite logique. Et là le dernier enchaînement lui parut comporter une
anomalie, pourtant c’est lui ce grand nigaud qui avait proposé à Polydecte de
lui rapporter comme présent la tête de Méduse. En même temps il se dit qu’il
était temps de quitter la toge de sa maman, et trancher la gorge de Méduse
c’était autre chose que répondre aux questions de la Sphynge… décidément toutes
ces créatures malfaisantes étaient féminines, heureuse Athéna qui lui apportait
sa clarté au-milieu de ces forces obscures. L’épreuve avec les
vieilles biques, les Grées, n’a pas été si terrible, c’est leur vue qui lui
foutait la trouille, un vrai film d’horreur qu’il s’est efforcé d’oublier très
vite…Et
pouvoir s’envoler, littéralement, pour atteindre sa destination, quel moyen
merveilleux de chasser les mauvaises pensées et quel sentiment de
puissance ! Pourtant
en arrivant sur cette île où tout semblait mort et pétrifié, les végétaux comme
les animaux, un air glacé lui a parcouru l’échine, comme un aperçu de ce qui
l’attendait s’il manquait son coup. Athéna,
toujours bienveillante, lui a susurré laquelle était Méduse, il l’avait bien
dans son champ de vision, il avait repéré quelle trajectoire il devait
accomplir pour se retrouver face à elle, il avait même anticipé comment il
devait placer son bouclier, son glaive, pas de fausse manœuvre pour se
retrouver pris dans le regard de la Gorgone…Ce n’est pas la peur qui le cloue
sur place un instant qui lui paraît une éternité, ses sandales ne sont pas
rivées au sol, c’est plutôt une hésitation qu’il vit comme salutaire et qu’il
redoute aussi de voir se prolonger…car Méduse peut se réveiller, changer de
place et Athéna perdre patience de protéger un tel indécis.Non, ce qui l’interrompt dans son élan, c’est le déroulement du cours de sa vie, qui apparaît en instantané avec cette prédiction originelle, ce putain d’oracle ! Sa mère ne le sait pas, mais il la connaît l’histoire funeste…le meurtre du père ce n’est pas possible, tuer Zeus ce serait le tabou suprême et puis c’est déjà pris avec Œdipe…non lui on lui a refilé dans la grande roue du destin la carte « tuer le grand-père » dans cette loterie où les devins font la loi pour le plus grand plaisir des dieux qui s’ennuient, c’est pour cela qu’ils prennent partie pour les pôvres humains, et la sollicitude d’Athéna n’est certainement pas dénuée d’une envie de faire bisquer une autre déesse ou Zeus…et Danaé sa mère aimante , craintive, une autre carte d’un destin lié au sien.
Non
il n’est pas persécuté (sic !), ses cartes joker ne sont pas des ploucs,
Hermès, Hadès, Athéna, mais tout cela sent quand même à plein nez sa tragédie
et il sait très bien pourquoi Polydecte, encore un jaloux, l’a envoyé sur
ces rivages inhospitaliers.
Il sent au fond de lui
qu’il sera victorieux, c’est une appréhension qui suspend son geste car sa victoire impliquera venir à bout de
cette saloperie d’oracle, il tuera la méchante mais ensuite il ne sait ni
comment ni pourquoi ce sera le tour du roi Acrisios son grand-père.
C’est
là qu’une sourde révolte gronde de plus en plus fort dans ses entrailles, y’en
a marre de ces oracles à la con…juste bons à faire grimper l’audimat à Delphes
les nuits de pleine lune et à faire le bonheur des éleveurs de poulets. Bon d’accord le monde
sera débarrassé de cette vieille toupie et de ses serpents ; mais à part son
île qu’elle a bétonnée du regard elle ne fait pas grand mal. Et savoir qu’elle
existe permettait (tiens il se parle au passé comme s’il l’avait déjà occis) au
moins de localiser le mal dans un endroit précis. Une
autre question le taraude, décidément ça carbure un peu trop, il aurait du
naître un peu idiot, c’est moins fatigant, action !exécution !
comme cet imbécile d’Hercule, tout en muscles mais le cerveau proche de
l’huître…quel est le rôle de Zeus dans tout ça ? quel est son
intérêt ? violer des mortelles (séduire dit l’euphémisme) ça on a compris
que c’était un dieu qui avait tout du bouc mais après où est son plaisir?... suivre les tribulations de ses rejetons, demi-dieux certes, mais souvent
ballottés et fracassés dans leur existence écrite, imaginée par le divin seigneur de
l’Olympe et relayée par les devins; et ces rois avides et querelleurs, de Laios à Acrisios, ne
sont-ils pas les pâles doublures de ces dieux joueurs et brutaux ? A
cette étape de sa réflexion Persée ne peut continuer, sa tête commence à
bouillonner et il a certainement aussi chaud que l’autre avec ses reptiles
hérissés… Il
est temps de fermer le robinet des pensées. Ce n’est pas maintenant ni
peut-être jamais qu’il peut déjouer et rejouer son destin, Hermès et toute la bande ne verraient pas d’un bon œil son retour peu glorieux de pleutre. Il essaie de ne pas se mentir à lui-même en se répétant que ce n’est
pas la trouille qui l’empêche de…d’ailleurs il n’est pas empêché du tout, il se
dit juste qu’avant de partir il n’a pas embrassé sa mère, trêve de sensiblerie, ce n’est pas pour autant un présage de mauvais
augure. Mais
s’il est, bien qu’il s’en défende, un héros conditionné par son histoire déjà
écrite, il sait que vouloir échapper à son destin ne fait qu’embrouiller les
cartes et se marrer encore plus ceux qui connaissent déjà la fin…
Alors il respire un grand coup, met son casque, prend appui fermement
sur le sol, oriente son bouclier, fait un petit saut et prend son envol vers
cette harpie chevelue qui n’est plus pour lui qu’un reflet de ses sombres
pensées.
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