samedi 26 novembre 2016

l'heure bleue



C’est une heure hésitante entre le jour qui décline et la nuit qui s’annonce, c’est le nom d’un des plus vieux Guerlain que j’ai senti bien avant de savoir ce qu’était le parfum car une pionne de mon lycée le portait. C’était une peau de vache mais elle était belle et son sillage vanillé m’éblouissait.
Eblouissantes aussi les déclinaisons de bleu, bleu céruléen, bleu outremer, bleu céladon (peut-être davantage vert?), bleu saphir...
avec un peu de rouge...
La palette des fromages n’est pas mal non plus pour les amateurs de bleu d’Auvergne, bleu des Causses, bleu de Sassenage, bleu de Gex…
Etonnant que le steak saignant rouge soit bleu
chez Marie-Antoinette tout est bleu
Le feuilleton aristo du sang bleu a tenu plus de deux siècles, hommes et femmes faisaient en sorte que leur peau soit la plus blanche et la plus fine possible, ils ne connaissaient pas le dicton : qui voit ses veines…
En poésie Paul Eluard affirme que la terre est bleue comme une orange et Arthur Rimbaud colore la voyelle O  en bleu.
La fleur bleue, ah la fleur bleue ! être fleur bleue en France c’est être sentimental avec une touche de naïveté, un zeste de mièvrerie; en Allemagne c’est plus romantique avec  die blaue Blume der Romantik de Novalis. C’est le myosotis qui gagne dans le langage des fleurs, le bleu pâle, je lui préfère le bleu gentiane.
Quand on a les bleus (québécois) ou des bleus (à l’âme, et l'arnica n'est guère efficace...), je suggère une prescription : lire ou relire l’usage du monde de Nicolas Bouvier je crois que je publie ce texte surtout pour partager cette ode bleue écrite peu après son arrivée à Téhéran en avril 1954.

Et surtout il y a le bleu. Il faut venir jusqu’ici pour découvrir le bleu. Dans les Balkans déjà, l’œil s’y prépare ; en Grèce, il domine mais il fait l’important : un bleu agressif, remuant comme la mer, qui laisse encore percer l’affirmation, les projets, une sorte d’intransigeance. Tandis qu’ici ! Les portes des boutiques, les licous des chevaux, les bijoux de quatre sous : partout cet inimitable bleu persan qui allège le cœur, qui tient l’Iran à bout de bras, qui s’est éclairé et patiné avec le temps comme s’éclaire la palette d’un grand peintre. Les yeux de lapis des statues akkadiennes, le bleu royal des palais parthes, l’émail plus clair de la poterie seldjoukide, celui des mosquées séfévides, et maintenant, ce bleu qui chante et s’envole, à l’aise avec les ocres du sable, avec le doux vert poussiéreux des feuillages, avec la neige, avec la nuit…



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