Cette
photo a été prise à Munnar dans le
Kerala
Je
voyais un attroupement se former, un gamin tendait une corde, son père (ou supposé) plantait
les poteaux, et un petit sac de jute avachi remuait dans un coin. Tout à coup
j’ai eu peur, je ne voulais pas rester là, c’était comme si toutes mes
peurs de l’Inde s’étaient cristallisées dans ce sac et je redoutais d’en
voir le contenu.
Je
pensais que cela pouvait être un enfant mais je craignais qu’il soit estropié,
monstrueux…
A
plusieurs reprises l’Inde s’était offerte en plein jour dans le plus sombre
cauchemar…
La
première fois, à Jaisalmer, je regardais le coucher de soleil sur la ville, un
peu à l’écart pour noter quelques impressions dans mon petit carnet. Et tout à
coup je le vis, un homme-araignée qui montait, ou plutôt qui rampait sur les
marches pour accéder au sommet où se trouvaient les touristes. Et je ne pouvais
plus voir que cela, même si je regardais furtivement, et ma terreur décuplait à
l’idée qu’il s’approche de moi…
Une
autre fois, dans le centre de l’Inde, j’écarquillais les yeux dans le bus pour
ne rien manquer du spectacle…et je le reçus dans la rétine, un torse sans bras avec un visage
posé devant une tente dans un campement, je l’ai revu tout au long du voyage dès que je fermais les yeux et
longtemps après, et surtout j’avais peur de voir ce que je regardais…
En
Inde du sud la tension s’était beaucoup relâchée, les mendiants près des
temples ne venaient pas pour nous spécialement. Quand j’ai donné mes chaussures
près d’un des grands temples bariolés du Tamilnadu, j’en ai repéré un qui avait
une main monstrueuse, il nous suivait de loin, comme d’autres, mais quand il a
fallu reprendre nos godasses moyennant quelques roupies, il était tout près.
J’avais tout au long adopté une attitude qui me permettait de fuir les gros
plans, et là mon compagnon me dit « donne lui une pièce » ce qu’il a
aussitôt enregistré, quelle que soit la langue, car il m’a mis sa main sous
le nez. Evidemment quelqu’un s’est fait engueuler…c’était ma manière de me
protéger, fermer mes écoutilles visuelles et mentales.
Quand
nous faisions un long trajet en train, je redoutais de descendre me dégourdir
les jambes sur le quai, mon angoisse étant de me faire happer la cheville par un
rampant et cela doit se rapporter à un fantasme collectif puisque
j’ai vu cela dans la bande dessinée bonjour les Indes (Dodo Ben
Radis Jano).
Alors
dans cette région montagneuse du Kérala, où je ne voyais plus d’horreurs , mes défenses étaient tombées; dans cette petite
foule qui se rassemblait, je voulais partir mais je restais clouée, et la
fillette est sortie lentement du sac, entière, a grimpé sur la corde presque aussi
tendue que moi…
J'ai quand même pris mon appareil photo, malgré les larmes qui coulaient, sur cette gamine, sur l’Inde, sur les enfants empereurs de l’orient et de l’occident, sur moi, sur les romans sentimentaux de mon enfance, et l'impression d'être dans un chapitre de sans famille !
J'ai quand même pris mon appareil photo, malgré les larmes qui coulaient, sur cette gamine, sur l’Inde, sur les enfants empereurs de l’orient et de l’occident, sur moi, sur les romans sentimentaux de mon enfance, et l'impression d'être dans un chapitre de sans famille !
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