Roxane est l'une des cinq femmes de Usbek et sa favorite. Ce riche persan a quitté Ispahan pour Paris en compagnie de son ami Rica, leur séjour s'étend sur une dizaine d'années au cours desquelles ils font part de leurs observations à leurs proches...mais il est pressé de rentre au bercail car il y a des remous dans le sérail...
voici la dernière lettre de Roxane à son époux
Du sérail d’Ispahan, le 8 de la lune de Rébiab 1, 1720.
voici la dernière lettre de Roxane à son époux
Oui, je t’ai
trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie ; et j’ai
su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs.
Je vais mourir
; le poison va couler dans mes veines. Car que ferais-je ici, puisque le seul homme
qui me retenait à la vie n’est plus ? Je meurs ; mais mon ombre s’envole bien
accompagnée : je viens d’envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges qui ont
répandu le plus beau sang du monde.
Comment as-tu
pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je ne fusse dans le monde
que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses
le droit d’affliger tous mes désirs ?
Non : j’ai pu
vivre dans la servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois
sur celles de la nature, et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.
Tu devrais me
rendre grâces encore du sacrifice que je t’ai fait ; de ce que je me suis
abaissée jusqu’à te paraître fidèle ; de ce que j’ai lâchement gardé dans mon
cœur ce que j’aurais dû faire paraître à toute la terre ; enfin, de ce que j’ai
profané la vertu, en souffrant qu’on appelât de ce nom ma soumission à tes
fantaisies.
Tu étais étonné
de ne point trouver en moi les transports de l’amour. Si tu m’avais bien
connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine.
Mais tu as eu
longtemps l’avantage de croire qu’un cœur comme le mien t’était soumis. Nous
étions tous deux heureux : tu me croyais trompée, et je te trompais.
Ce langage,
sans doute, te paraît nouveau. Serait-il possible qu’après t’avoir accablé de
douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage? Mais c’en est fait : le
poison me consume ; ma force m’abandonne ; la plume me tombe des mains ; je sens
affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs.
Du sérail d’Ispahan, le 8 de la lune de Rébiab 1, 1720.
Montesquieu
(1689-1755), Lettres persanes, 1721.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire