lundi 21 mars 2011

Le bel Antonio

Elle s’était dit « je pars seule en Italie ! après tout je n’ai pas besoin de chaperon, nous sommes en 1972, une copine cela peut être ennuyeux et un copain carrément encombrant… »

Elle se raisonnait aussi en se disant qu’elle ne partait pas au bout du monde, elle allait sur le vieux continent à l’heure où certaines de ses consœurs voyageaient sac à dos au Népal. Mais elle ne faisait pas partie de la beat génération, sinon par l’âge et parfois un peu l’apparence avec ses longs cheveux blonds qui lui donnaient l’air d’une vierge préraphaélite….vierge quand même pas, elle avait beau avoir eu une éducation stricte, en fille de la bourgeoisie bostonienne, elle se croyait un peu dessalée miss Cooper.

Et puis les Anglaises ont parcouru l’Italie au XIXème siècle, parfois solitaires… alors une Américaine dégourdie du XXème no problem !

Elle avait choisi Rome et Florence comme destinations principales, avait un bon guide et parlait un peu l’italien. Son imagination et ses lectures l’entraînaient déjà sous le plafond de la Sixtine, dans les chambres de Raphaël, devant les Botticelli ou près du pont sur l’Arno où Dante avait aperçu Béatrice pour la prima volta

Elle n’avait pas choisi Venise, réservant cette destination pour un voyage post nuptial, « dessalée mais un peu traditionnelle », ni l’Italie du sud qui exhalait trop les miasmes de la pauvreté et les ruelles mal famées de Naples. 

Avion jusqu’à Paris, où elle est restée deux jours, puis le célèbre Palatino, et enfin l’arrivée à Rome, statione Termini.

Les couleurs, les odeurs, cette langue qui chantait à ses oreilles, et bien sûr la découverte des trésors de la ville éternelle…

Cependant assez vite un curieux sentiment s’est attaché à ses pas : tous ces regards…. elle n’était entourée que d’hommes, qui la dévisageaient, la scrutaient, la déshabillaient… la violaient des yeux. Elle choisissait des tenues des plus classiques, elle qui avait pensé faire des rencontres comprenait que ce n’était pas l’endroit pour la jouer séduction…, elle la jouait plutôt austère, se coiffait en chignon, mais avait l’impression que cela redoublait les assiduités de ces messieurs, comme une héroïne d’Hitchcock de plus en plus inaccessible et de plus en plus poursuivie. Sauf que pour elle ce n’était ni Cary Grant ni Sean Connery qui menaient la traque !

Elle s’offrait toujours les grands cafés des lieux  touristiques place Navone le plus souvent, mais ne pouvait répondre à l’invite des terrasses sur  ces petites places qu’elle découvrait au hasard des ruelles.

Cela ira mieux à Florence, se disait-elle ils sont peut-être moins latinos.  Eh bien ce fut pire encore. Le centre historique était plus ramassé, elle avait moins d’échappatoires, les trottoirs étaient étroits et plusieurs fois elle faillit se faire renverser par une vespa en voulant échapper à un admirateur trop pressant.

Elle se mit à les haïr ces hommes égrillards, hâbleurs, probablement des impuissants, des frustrés…. pour qui seule comptait l’icône de la mamma.

Et rien à voir avec ces beaux visages des fresques de Ghirlandaio dont elle pouvait à peine profiter redoutant le moment où elle sortirait de l’église ou du musée…Eh puis quel casse-tête de jongler avec les horaires d’ouverture ou plutôt de fermeture …Elle abhorrait cette phrase, véritable contre-sésame de bien des sites : « la chiesa è chiusa » et qui semblait être un calembour tout droit sorti d’un ouvrage d’italien pour débutants.

Elle avait pensé prolonger son voyage si l’occasion se présentait, - mais quelle occasion ? Elle n’avait parlé à personne hormis le personnel de service, et c’est renfrognée qu’elle prit place dans le train puis l’avion pour New York.




Elle ne remarque pas tout de suite le passager qui s'assoit à côté d’elle…Sa mine boudeuse se détend quand elle commence à le regarder. Regarder un homme, quel plaisir ! Plaisir interdit depuis qu’elle avait été un centre d’attractions permanent. Celui-ci est beau, blond châtain, des yeux marron aux  reflets presque dorés, un vrai page de Mantegna. Il lui parle, et là son désir de plaire, de lui plaire, s’efface devant son besoin de communiquer, les vannes s’ouvrent, elle lui raconte son voyage en omettant les passages déplaisants.

Il va à New York pour une exposition qu’il va mettre en place à l’automne, il est Italien, rejeton d’une vielle famille aristocrate déchue, lointain parent avec Visconti…, il s’appelle Antonio et il partage son temps  entre San Francisco, où il réside le plus souvent, et New York…


Elle se prend à rêver pendant les rares moments où ils sont silencieux.  Voilà qui était comique, alors que les Italiens sont devenus son cauchemar, elle rentre aux Etats Unis avec un Italien bellissimo et cultivé qui lui plait de plus en plus, elle s’imagine déjà le rejoindre à San Francisco.

Il s’est assoupi et elle ne peut détacher les yeux de ce profil, elle remarque alors son élégance, une élégance discrète et pas tapageuse, qui dénote du bon goût et l’argent qui va avec.

Peu avant l’atterrissage il lui demande si quelqu’un l’attend à New York, elle sent son cœur s’emballer, il va lui demander de la revoir, son adresse, lui proposer quelque chose, elle ne sait pas quoi, s’énerve un peu et bafouille qu’elle doit prendre une correspondance pour Boston.

Elle l’entend dire que son amie sera là et elle redescend sur terre plus vite que l’atterrissage. Que croyait-elle pauvre illuminée, un beau mec comme ça ! Elle essaie de cacher sa déception, ils attendent leurs bagages côte à côte en silence.

Quand ils sortent de l’aéroport, elle voit s’élancer vers lui une hippie toute en couleurs en tunique et pantalon flottant. Elle se sent brusquement terne à côté d’elle, mais la voix de cette amie la fait chavirer à nouveau, elle la regarde mieux,  c’est un hippy !


Antonio le lui présente comme un artiste peintre prometteur, c’est donc une relation de travail, elle en pleurerait de soulagement, elle écoute à peine son nom, mais sur son nuage de béatitude elle entrevoit quand même les regards qui s’échangent, les doigts qui s’effleurent et s’étreignent et elle comprend ! quelle nouille, quelle cruche, quelle gourde !





La nouvelle est inspirée d’une photo des années 60 où on voit une touriste Américaine la proie des regards avides des Italiens qui l’entourent et de voyages en Italie, seule ou pas.
Le titre est une référence au film de Bolognini avec Marcello Mastroiani
La photo est celle de la bocca della Verità à Rome

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